Extrait de Un petit projet de création d’emploi autofinancé – gran mounm – et autocentré – pou nou mim (à paraître)
S’il est un principe qui fait l’unanimité parmi les experts en développement des organismes internationaux, c’est celui qui veut que les pays riches aient le devoir de contribuer à l’amélioration du sort des nations nécessiteuses en leur fournissant une aide technique et financière. En application de ce principe, ces nations reçoivent depuis plusieurs décennies les subsides de la communauté internationale, qui a été particulièrement généreuse à l’égard d’Haïti. Cependant, cette aide que tous les pays pauvres appellent de leur vœu s’accompagne souvent de liens qui ne sont pas toujours compatibles avec les intérêts nationaux du récipiendaire.
Un de ces liens concerne l’obligation pour le bénéficiaire d’aide de s’approvisionner auprès du donateur, alors même que les biens désirés seraient disponibles à meilleur compte sur le marché international. Un autre lien qui fait souvent de l’aide un cadeau empoisonné est la règle qui force le pays pauvre à en accepter une partie sous forme de produits agricoles. Or, si le déversement de ces produits y allège sur courte période la misère d’un petit nombre de gens, il décourage à moyen terme la production agricole nationale et exacerbe par le fait même le problème que l’aide entendait résoudre, celui de pauvreté.
Cela dit, les ressources financières fournies par les pays riches revêtent d’habitude trois formes principales.
1. Elles sont remises directement au gouvernement de l’État nécessiteux. Ainsi, on fait du récipiendaire un agent du développement, sans vérifier si cela fait partie ou non de ses attributions légitimes; s’il a la compétence ou la volonté nécessaire pour accomplir l’œuvre de création de biens et services recherchée et veiller à leur répartition équitable. Par ailleurs, les projets qui sont méritoires aux yeux des bailleurs de fonds ne correspondent pas nécessairement aux besoins politiques du gouvernement pauvre et, par conséquent, peuvent faire l’objet d’une gestion négligente.
2. Une partie des ressources fournies est gérée par des organisations non gouvernementales (ONG) établies au pays donataire. L’aide se concrétise ainsi dans une multitude de microprojets sans liens organiques ni objectifs communs avec les programmes publics et entraîne souvent au mieux un double emploi, au pire beaucoup de gaspillage; par exemple, telle ville où il n’y a aucune usine sera dotée d’électricité 24 heures sur 24, alors que cette ressource est terriblement rationnée à Port-au-Prince.
3. Certaines ressources sont administrées par des envoyés (coopérants) du pays ou de l’organisme donateur. Ainsi, l’aide peut viser des objectifs rigides qui sont définis par des technocrates étrangers, sans égard à certaines réalités ou à certaines évolutions politiques ou sociales du pays pauvre, ou encore elle peut poursuivre des buts sournois qui sont incompatibles avec certains postulats de la souveraineté nationale du récipiendaire.
En bref, quelle que soit la forme revêtue, l’aide financière complique toujours le problème qu’elle cherche à résoudre. Ses façons d’aborder le développement sont autant de recettes pour la perpétuation involontaire du sous-développement et de la pauvreté, pour plusieurs autres raisons.
1. Confier à l’État des rôles primordiaux dans le développement économique, c’est méconnaître un problème important que nous appelons le risque politique. Il est une vérité d’évidence que les dirigeants d’un pays, qu’on le veuille ou pas, n’occupent leurs positions que pour un temps limité. Par conséquent, les projets entamés par un gouvernement courent toujours le risque de subir des avatars dus à un changement de régime; en un mot, leur continuation n’est pas toujours assurée. Là où ou le bât blesse est que les nouveaux dirigeants, parfois par pure mesquinerie, tendent à laisser en plan ou à abandonner des projets commencés par un prédécesseur, même si ceux-ci sont très porteurs sur le plan économique et ont déjà coûté des sommes considérables à l’État national ou aux bailleurs de fonds étrangers.
2. L’aide internationale renferme un risque souverain. Le pays donateur, dans l’exercice de sa souveraineté, peut renier ses promesses pour plusieurs raisons : a) le récipiendaire a une attitude jugée trop nationaliste ou une idéologie ambiguë, b) un nouveau régime politique n’est pas en odeur de sainteté auprès du donateur, c) le pouvoir politique chez le donateur passe aux mains d’une équipe d’isolationnistes (par exemple, considérons qu’un dénommé Pat Buchannan devient président des États-Unis), etc. Ce dernier point a des conséquences analogues au risque politique dû à un changement de régime chez le récipiendaire : discontinuation de l’aide, abandon de projets, etc.
3. Le problème le plus grave auquel le pays pauvre est confronté est lié au fait que l’aide entraîne souvent ce qu’il convient d’appeler l’arrogance morale du pays donateur. Cette arrogance se révèle toutes les fois que le pays donateur s’immisce avec désinvolture dans la conduite de la politique interne du pays récipiendaire. Dans le cas d’Haïti, elle est manifeste depuis deux décennies dans la volonté de la communauté internationale d’imposer des solutions concoctées dans leurs propres officines aux problèmes politiques que seuls les Haïtiens devraient résoudre. Cela dit, nous admettons que ce n’est pas faire preuve d’arrogance que de prendre au mot ces dirigeants qui se gargarisent continuellement de formules démocratiques trompeuses. Nous connaissons la différence.
4. Il y a deux autres raisons qui disqualifient l’État comme un agent de développement fiable.
a) Considérant l’aide internationale comme un cadeau à leur gouvernement plutôt qu’au peuple, les dirigeants haïtiens n’ont aucun scrupule à la détourner à des fins personnelles. À cet égard, l’anecdote suivante illustre bien la psychologie des récipiendaires d’aide : « Ce n’est pas l’argent des Haïtiens, mais celui des étrangers, que nous volons » rétorqua un ministre de Jean-Claude Duvalier à un ami qui lui reprochait un jour de trahir leurs rêves de jeunesse en acceptant de faire partie d’un gouvernement incompétent, corrompu et kleptomane.
b) Les fins de l‘État sont doubles : ce sont 1) le bien de ses éléments constitutifs, c’est-à-dire les citoyens en tant qu’ils en font partie, et 2) son bien propre, autrement dit sa conservation. « Tout être trouve son bien propre dans la conservation de sa nature et de ses propriétés. », a dit Thomas d’Aquin. Or, la conservation de l’État étant première dans l’ordre de ses intérêts (le bien de l’État l’emporte sur le bien même qu’elle assure à chaque individu, selon ce philosophe), toute perception de conflit entre son bien propre et celui de ses éléments – les citoyens – sera résolue en faveur de son bien propre, c’est-à-dire sa conservation. Par conséquent, laisser le développement entre les mains de l’État, c’est le subordonner aux intérêts de ce dernier, ce qui constitue un risque considérable, surtout dans un pays où les hommes publics ont perdu la notion du bien commun.
En vertu des considérations qui précèdent, l’aide au développement s’avère trop aléatoire pour être vraiment porteuse.
Il n’en demeure pas moins que de ressource d'appoint qu'elle fut pour l'État haïtien dans les années 1950, l'aide internationale a fini par s'imposer comme le moteur de la lutte contre la misère en Haïti. Elle s’est enracinée dans la culture politique de la nation, et la capacité des dirigeants de l'attirer est devenue leur paradigme, autrement dit le seul étalon qui sert à mesurer leurs performances.
L'avènement de l'aide internationale massive a incité l'État à vouloir faire cavalier seul, au lieu de composer avec le secteur privé en vue de le recruter pour le développement. L'aide a ainsi fait du secteur public le plus grand fournisseur de services au pays et a accrû dangereusement le rôle de l'État, reléguant au second plan l'investissement privé dans des activités productives créatrices d'emplois. Qui pis est, la bourgeoisie elle-même, ayant fini par intérioriser une telle aberration, préfère attendre les miettes de l'aide internationale, au lieu de faire preuve de créativité en matière d’investissements productifs.
En résumé, reconnaissons que si l’aide internationale peut être utile à bien des égards, elle n’est en définitive, pour employer une image familière, rien d’autre qu’un oiseau passager qu’on ne saurait garder en cage trop longtemps. Sans lui imputer tous les maux dont souffre notre pays, il est juste de dire qu'elle a pris une place tellement importante dans tous les aspects de notre vie qu’elle induit nos pouvoirs publics à ne pas chercher à en sortir et leur enlève toute motivation pour faire marcher le pays par l’emploi de nos propres moyens.
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