Un ami me dit un jour que chaque fois que quelqu’un lui disait qu’il l’aimait il savait qu’il venait de faire quelque chose qui était contraire à son intérêt. Tout le long de mon jeune âge, j’avais ainsi entendu sur le fait d’aimer une pléthore d’opinions, les unes plus étonnantes que les autres – aimer, c’est souffrir ; aimer, c’est donner tout ce qu’on a ; aimer, c’est donner tout ce qu’on pense ; etc. Cependant, cette condamnation de l’amour prononcée par mon ami fut peut-être le seul jugement qui m’ait amené à réfléchir sérieusement sur le sujet de l’amour.
Tout le monde est normalement flatté de se faire dire qu’on l’aime. Par conséquent, mon ami, que savait-il au sujet de l’amour pour qu’il le rejette si impitoyablement ?
Mon ami était un pessimiste qui est devenu et resté aigri à la suite de son échec aux examens du bac. C’est pourquoi, je me suis toujours méfié de la valeur introspective de son affirmation. Il me fait souvent penser à La Rochefoucauld, cet auteur français du dix-septième siècle qui a écrit ses maximes à la suite de ses échecs politiques. Cependant, quoi qu’on en pense, peut-on nier la pertinence de sa maxime la plus connue « les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer », qui résume pour ainsi dire tout son art poétique?
Je peux témoigner que mon ami était un homme bon, un ami du genre humain, quoique un peu compliqué, il est vrai. Qu’est-ce qui a donc pu le désabuser au point de le rendre si méfiant vis-à-vis de l’amour ? À défaut d’une explication plus sophistiquée, on peut s’aventurer à conclure que ce ne fut pas l’épreuve de l’amour, mais les déclarations d’amour qu’il rejetait, considérant ceux qui les font comme des imposteurs. Ce qui signifierait que dans son esprit l’amour ne s’exprime que dans le silence.
L’amour est assurément le terme le plus galvaudé qui soit. Toutes les femmes en parlent avec autorité, comme si elles étaient l’incarnation même de Vénus. Beaucoup d’hommes proclament le leur et nient celui des autres. Certains hommes pensent que les femmes font semblant de les aimer pour leur argent ou leur succès ; et nombre de femmes pensent que les déclarations d’amour de la part des hommes ne sont que de viles invitations à la concupiscence. En fait, que signifie aimer quelqu’un ?
On n’a pas à être croyant pour arriver à la réalisation que l’amour n’appartient qu’aux dieux. Avant le Christ, personne ne nous a demandé d’avoir envers nos ennemis la même disposition généreuse que nous avons envers nous-mêmes. Au surplus, personne n’a jamais observé cette disposition généreuse que chez les grands saints de la chrétienté – le Christ, Étienne – ni sa manifestation effective que dans leur prière préférée pour le salut de l’âme de leurs propres bourreaux, « Mon Dieu, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Pour ces raisons, une définition admissible et a fortiori vérifiable de l’amour est cette disposition envers quelqu’un qui nous rend capables de tout lui pardonner.
Cela dit, le seul amour humain qui se rapproche de cette définition est l’amour maternel. Une mère peut en effet tout pardonner à son enfant. On observe aussi cet amour chez certains pères, même si cela ne fait pas partie de leurs attributions. Est-ce parce que les parents voient dans l’enfant un reflet de leur propre personne ? Aller savoir. En dehors de cela, on ne rencontre partout que sa caricature ; il prend alors la forme exclusive de l’amour de soi.
On est prédisposé à tout pardonner à soi-même. On trouve des excuses valables pour ses fautes les plus graves et ses crimes les plus vils. Cependant, on garde rancune aux autres de leurs moindres peccadilles.S’il est vrai qu’on n’aime que soi, que dire alors de ceux qui se sacrifient pour les autres, qui consacrent leur vie au bien-être des déshérités, qui s’épuisent à venir en aide aux malades et aux affligés ? Si tant de bonté n’est motivée que par l’amour de soi, à quoi sert l’amour (d’autrui) ?
Tuesday, March 1, 2011
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